Ces dernières années, le harcèlement scolaire est un thème très souvent abordé dans les médias. Reportages, témoignages et livres publiés nous sont parvenus. Le manga ne fait pas exception et plusieurs titres comme Life ou encore A Silent Voice ont clairement exposé le thème du Ijime ("intimidation"), des brimades dans le milieu scolaire japonais, de manière souvent crue.
L' Ijime trop dur pour le manga ?
Dans un manga, lorsque le héros est brutalisé, il est souvent confronté un moment à une grande solitude avant d'être soutenu par un autre personnage qui deviendra son ami et son allié face aux harceleurs.
Dans les shôjos, le thème est souvent abordé, particulièrement lorsque l'héroïne à le malheur de s'intéresser d'un peu trop près au canon de l'école. Mais les brutalités ne sont généralement pas montrées, elles sont sous-entendues et souvent mises de côté, jugées sans véritable importance. Attention, je ne dis pas que ce n'est pas important, juste que l'histoire passe vite sur ce point, préférant se focaliser sur la romance que sur un thème plus dramatique (exemple ci-dessus à gauche avec l'extrait de Say I Love You, éditions Pika).
Mais le harcèlement ne touche pas obligatoirement le personnage principal, il peut concerner un personnage secondaire comme celui de Kisa Soma dans Fruits Baskets (éditions Delcourt), petite écolière de primaire qui à force de se faire embêter par les élèves de sa classe finit par ne plus parler.
L'Ijime est donc abordé mais jamais pris à bras le corps, on en parle mais on ne le montre pas. Pourquoi ? Trop violent, trop honteux, trop sombre ? Pourtant les mangas regorgent de thèmes sombres et la société japonaise est souvent décrite dans les seinens, et pas toujours sous son meilleur jour. Ce qui touche l'univers scolaire serait-il tabou ? Pas vraiment, c'est juste qu'il est difficile de parler d'un thème qu'on a pas forcément expérimenté soi-même, voire qu'on a trop connu au contraire.
Pour certains mangakas, comme pour plusieurs milliers de personnes, impossible de savoir si ce qu'ils décrivent dans leurs oeuvres ont été réellement vécues ou non. Lors d'un petit aparté sur son manga Life, Keiko Suenobu parle des nombreuses lettres de lecteurs qu'elle reçoit et où le réel dépasse l'imaginaire mais elle ne dit pas si elle a elle-même souffert d'harcèlement. Ce qui n'est pas le cas de Syoichi Tanazono qui lui publie avec Sans aller à l'école, je suis devenu mangaka un vrai témoignage sur sa propre expérience.
Une représentation coup de poing
Le harcèlement scolaire peut commencer de multiples façons: une différence, un malentendu, une incompréhension mutuelle... les raisons sont nombreuses et les mangakas l'ont bien compris. Aucun ijime n'est semblable à un autre et les représentations graphiques dévoilent aux lecteurs une multitude de façons dont peut souffrir une personne dans le milieu scolaire.
1 - Le professeur qui a le mauvais rôle:
Ici la faute du professeur est clairement mise en cause et le rôle bienveillant de l'enseignant est jeté aux oubliettes pour un rôle beaucoup plus négatif.
Dans de nombreux témoignages, le rôle du professeur n'est pas à envier: ignorance voire total rejet de l'importance du problème, beaucoup de professeurs ont aggravé le cas des victimes plutôt que de leur venir en aide. Masatomo va rencontrer de nombreux professeurs tout au long de sa vie et si beaucoup tenteront de l'aider, d'autres l'enfonceront, préférant tout mettre sur le dos du petit garçon. Une remplaçante ira même jusqu'à lui dire "Tu vois ce qui se passe quand on ne vient pas à l'école ?" en voyant ses piètres résultats.


2 - La solitude et les monstres: Si les professeurs ne sont pas la cause du mal-être des héros, alors qui est-ce ? Les camarades de classe. Souhaitant juste "plaisanter" ou désirant vraiment faire du tord aux héros, les élèves d'une seule classe peuvent se retourner contre l'un des leurs quand ça les arrange. Enfants ou adolescents, la violence ne connaît pas de limite et les mangakas, lorsqu'ils décident d'aborder ce thème, se montrent souvent très violents dans leurs représentations du ijime. Bagarre, passage à tabac, voire humiliation publique, les violences faites aux héros poussent souvent le lecteur à s'accrocher lors de sa lecture. Particulièrement lorsque les héros, fragilisés, en viennent à se faire du mal aux-mêmes comme peut le faire Ayumu (Life) en se scarifiant.
La solitude est donc pendant un temps l'ultime réponse de la victime qui se retrouve piégée et ne sait pas comment agir face à ces violences quotidiennes. Leurs bourreaux prennent alors des visages différents selon les mangakas.


Différents messages mais une vraie force recherchée
Si les violences représentées dans ces mangas sont des passages très forts (émotionnellement et graphiquement), les messages proposés par les auteurs le sont tout autant. Leurs héros ne peuvent pas rester indéfiniment des victimes et chacun trouve une façon ou une autre de sortir de ce cauchemar.
Dans A Silent Voice, le changement d'école est la solution la plus simple pour la petite Shoko qui parviendra dans sa nouvelle classe à se faire accepter. Life est quant à lui une vraie ode à l'amitié avec les personnages d'Ayumu et de Miki, les deux exclues de la classe qui vont allier leur force pour faire face à leurs harceleurs et au manque de soutien du corps professoral.
Mais parfois le héros, bien qu'entouré par une famille aimante ne trouve la force d'affronter ses problèmes que d'une manière "détournée". Sans aller à l'école, je suis devenu mangaka et Vitamine abordent le thème de l'ijime en lien avec le thème de la création. Souffrir permet aux héros de se lancer dans leur rêve (devenir mangaka) et de réussir. Plus qu'une réussite "sociale", en reprenant une place saine au sein de la classe, ces héros obtiennent une réussite individuelle qui leur est propre grâce à leur art. Art qui leur permet d'oublier leurs harceleurs mais également d'affronter une dernière fois leurs souvenirs. Vitamine se termine avec la publication du premier manga de l'héroïne qui parvient à se faire éditer au lycée et Syoichi Tanazono, auteur de Sans aller à l'école, je suis devenu mangaka, arrive à témoigner des années plus tard en publiant cette biographie.
Le thème de l'ijime n'est donc pas abordé si superficiellement dans les mangas. Seulement, il faut que le lecteur soit prêt dès les premières pages à subir des chocs durant sa découverte, ce thème et ses représentations pouvant être très violents. Mais les mangakas ne cherchent pas uniquement à choquer leurs lecteurs, c'est un vrai message qu'ils font passer à travers leurs oeuvres. D'abord en parlant ouvertement d'un thème jugé trop souvent comme tabou, mais aussi en donnant foi aux lecteurs à travers leurs héros qui, heureusement, parviennent toujours à se relever. L'importance de ce thème tient donc à la violence des actes commis sur les victimes mais également au courage de ces dernières ainsi qu'à leur volonté de s'en sortir face à toutes ces injustices.
Les mangas qui ont inspiré cet article...
cool
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